Maurice Allais, prix Nobel en économie

le dimanche, 01 octobre 2023. Banques

«La création monétaire ex nihilo actuelle par le système bancaire est identique à la création de monnaie par des faux-monnayeurs»

Maurice Allais (1911-2010)

Maurice Allais (né à Paris le 31 mai 1911 et mort le 9 octobre 2010 à Saint-Cloud (presque centenaire), est un économiste français qui reçut le prix Nobel en économie en 1988 (pour ses travaux datant des années 40), et surtout remarquable pour sa dénonciation de la mondialisation actuelle, et surtout de la création d’argent ex nihilo (à partir de rien) par les banques commerciales, précisant que ce droit de créer l’argent ne pouvait qu’appartenir à la nation. C’est pour cela que malgré son titre de prix Nobel en économie, aucun média ne l’invitait à exprimer son opinion sur les problèmes actuels.

Dans les dernières années de sa vie, il avait contacté nos amis suisses créditistes, se disant luimême très favorable à la Démocratie économique (ou crédit social) de Douglas et à son dividende mensuel à chaque citoyen. Tout comme Douglas, Allais disait qu’il fallait se méfier des théories, qui ne correspondent pas toujours à la réalité, mais se fonder sur les faits. Et tout comme Douglas, les médias ont cherché à le boycotter. Voici donc quelques pages en hommage à ce grand Français, apôtre d’un système d’argent honnête, qui tient des propos rafraîchissants:

Le 5 décembre 2009, le journal français Marianne a publié le testament politique de Maurice Allais, qu’il a souhaité rédiger sous forme d’une Lettre aux Français. En voici des extraits :

Tout libéraliser, on vient de le vérifier, amène les pires désordres. Inversement, parmi les multiples vérités qui ne sont pas abordées se trouve le fondement réel de l’actuelle crise: l’organisation du commerce mondial, qu’il faut réformer profondément, et prioritairement à l’autre grande réforme également indispensable que sera celle du système bancaire.

Les grands dirigeants de la planète montrent une nouvelle fois leur ignorance de l’économie qui les conduit à confondre deux sortes de protectionnisme: ilen existe certains de néfastes, tandis que d’autres sont entièrement justifiés. Dans la première catégorie se trouve le protectionnisme entre pays à salaires comparables, qui n’est pas souhaitable en général. Par contre, le protectionnisme entre pays de niveaux de vie très différents est non seulement justifié, mais absolument nécessaire. C’est en particulier le cas à propos de la Chine, avec laquelle il est fou d’avoir supprimé les protections douanières aux frontières. Mais c’est aussi vrai avec des pays plus proches, y compris au sein même de l’Europe. Il suffit au lecteur de s’interroger sur la manière éventuelle de lutter contre des coûts de fabrication cinq ou dix fois moindres – si ce n’est des écarts plus importants encore – pour constater que la concurrence n’est pas viable dans la grande majorité des cas. Particulièrement face à des concurrents indiens ou surtout chinois qui, outre leur très faible prix de main-d’oeuvre, sont extrêmement compétents et entreprenants.

Nos médias sont-ils libres?

Les commentateurs économiques que je vois s’exprimer régulièrement à la télévision pour analyser les causes de l’actuelle crise sont fréquemment les mêmes qui y venaient auparavant pour analyser la bonne conjoncture avec une parfaite sérénité. Ils n’avaient pas annoncé l’arrivée de la crise, et ils ne proposent pour la plupart d’entre eux rien de sérieux pour en sortir. Mais on les invite encore. Pour ma part, je n’étais pas convié sur les plateaux de télévision quand j’annonçais et j’écrivais, il y a plus de dix ans, qu’une crise majeure accompagnée d’un chômage incontrôlé allait bientôt se produire, je fais partie de ceux qui n’ont pas été admis à expliquer aux Français ce que sont les origines réelles de la crise alors qu’ils ont été dépossédés de tout pouvoir réel sur leur propre monnaie, au profit des banquiers. Par le passé, j’ai fait transmettre à certaines émissions économiques auxquelles j’assis-tais en téléspectateur le message que j’étais disposé à venir parler de ce que sont progressivement devenues les banques actuelles, le rôle véritablement dangereux des traders, et pourquoi certaines vérités ne sont pas dites à leur sujet. Aucune réponse, même négative, n’est venue d’aucune chaîne de télévision et ce durant des années.

Cette attitude répétée soulève un problème concernant les grands médias en France: certains experts y sont autorisés et d’autres, interdits. Bien que je sois un expert internationalement reconnu sur les crises économiques, notamment celles de 1929 ou de 1987, ma situation présente peut donc se résumer de la manière suivante: je suis un téléspectateur. Un prix Nobel… téléspectateur. Je me retrouve face à ce qu’affirment les spécialistes régulièrement invités, quant à eux, sur les plateaux de télévision, tels que certains universitaires ou des analystes financiers qui garantissent bien comprendre ce qui se passe et savoir ce qu’il faut faire. Alors qu’en réalité ils ne comprennent rien. Leur situation rejoint celle que j’avais constatée lorsque je m’étais rendu en 1933 aux États-Unis, avec l’objectif d’étudier la crise qui y sévissait, son chômage et ses sans-abri: il y régnait une incompréhension intellectuelle totale. Aujourd’hui également, ces experts se trompent dans leurs explications. Certains se trompent doublement en ignorant leur ignorance, mais d’autres, qui la connaissent et pourtant la dissimulent, trompent ainsi les Français.

Cette ignorance et surtout la volonté de la cacher grâce à certains médias dénotent un pourrissement du débat et de l’intelligence, par le fait d’intérêts particuliers souvent liés à l’argent. Des intérêts qui souhaitent que l’ordre économique actuel, qui fonctionne à leur avantage, perdure tel qu’il est. Parmi eux se trouvent en particulier les multinationales qui sont les principales bénéficiaires, avec les milieux boursiers et bancaires, d’un mécanisme économique qui les enrichit, tandis qu’il appauvrit la majorité de la population française mais aussi mondiale. (Fin des extraits du testament politique de Maurice Allais.)

L’analyse de Maurice Allais sur la création monétaire

Toutes les cittations suivantes sont tirées du livre de Maurice Allais, La Crise mondiale d’aujourd’hui. Pour de profondes réformes des institutions financières et monétaires, 1999:

«En fait, sans la création de monnaie et de pouvoir d’achat ex nihilo que permet le système du crédit, jamais les hausses extraordinaires des cours de bourse que l’on constate avant les grandes crises ne seraient possibles, car à toute dépense consacrée à l’achat d’actions, par exemple, correspondrait quelque part une diminution d’un montant équivalent de certaines dépenses, et tout aussitôt se développeraient des mécanismes régulateurs tendant à enrayer toute spéculation injustifiée.

«Qu’il s’agisse de la spéculation sur les monnaies ou de la spéculation sur les actions, ou de la spéculation sur les produits dérivés, le monde est devenu un vaste casino où les tables de jeu sont réparties sur toutes les longitudes et toutes les latitudes. Le jeu et les enchères, auxquels participent des millions de joueurs, ne s’arrêtent jamais. Aux cotations américaines se succèdent les cotations à Tokyo et à Hongkong, puis à Londres, Francfort et Paris.

Partout, la spéculation est favorisée par le crédit puisqu’on peut acheter sans payer et vendre sans détenir. On constate le plus souvent une dissociation entre les données de l’économie réelle et les cours nominaux déterminés par la spéculation.

«Sur toutes les places, cette spéculation, frénétique et fébrile, est permise, alimentée et amplifiée par le crédit. Jamais dans le passé elle n’avait atteint une telle ampleur.

«L’économie mondiale tout entière repose aujourd’hui sur de gigantesques pyramides de dettes, prenant appui les unes sur les autres dans un équilibre fragile. Jamais dans le passé une pareille accumulation de promesses de payer ne s’était constatée. Jamais sans doute il n’est devenu plus difficile d’y faire face. Jamais sans doute une telle instabilité potentielle n’était apparue avec une telle menace d’un effondrement général.

«Au centre de toutes les difficultés rencontrées, on trouve toujours, sous une forme ou une autre, le rôle néfaste joué par le système actuel du crédit et la spéculation massive qu’il permet. Tant qu’on ne réformera pas fondamentalement le cadre institutionnel dans lequel il joue, on rencontrera toujours, avec des modalités différentes suivant les circonstances, les mêmes difficultés majeures. Toutes les grandes crises du XIXe et du XXe siècle ont résulté du développement excessif des promesses de payer et de leur monétisation.

Particulièrement significative est l’absence totale de toute remise en cause du fondement même du système de crédit tel qu’il fonctionne actuellement, à savoir la création de monnaie ex-nihilo par le système bancaire et la pratique généralisée de financements longs avec des fonds empruntés à court terme.

En fait, sans aucune exagération, le mécanisme actuel de la création de monnaie par le crédit est certainement le “cancer” qui ronge irrémédiablement les économies de marchés de propriété privée. [...]

Que les bourses soient devenues de véritables casinos, où se jouent de gigantesques parties de poker, ne présenterait guère d’importance après tout, les uns gagnant ce que les autres perdent, si les fluctuations générales des cours n’engendraient pas, par leurs implications, de profondes vagues d’optimisme ou de pessimisme qui influent considérablement sur l’économie réelle. [...] Le système actuel est fondamentalement anti-économique et défavorable à un fonctionnement correct des économies. Il ne peut être avantageux que pour de très petites minorités. »

Et pour terminer, voici des extraits de la dernière interview de Maurice Allais, réalisée l’été 2010 par Lise Bourdeau-Lepage et Leïla Kebir pour Géographie, économie, société, 2010/2:

<> «J’ai depuis toujours, et surtout depuis plus de vingt ans, suggéré des modifications en profondeur des systèmes financiers et bancaires, ainsi que des règles du commerce international. Il faut réformer les banques, réformer le crédit, réformer le mode de création de la monnaie, réformer la bourse et son fonctionnement aberrant, réformer l’OMC et le FMI, car tout se tient. Leur organisation actuelle est directement à l’origine non seulement de la crise, mais des précédentes, et des suivantes si l’on n’agit pas. Mes propositions existent et il aurait suffi de s’y référer. Mais ce qui manque est la volonté. Les gouvernements n’écoutent que les conseillers qui sont trop proches des milieux financiers ou économiques en place. On ne cherche pas à s’adresser à des experts plus indépendants.»

Maurice Allais

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