Le Crédit Social et le Royaume

«L’avenir de la civilisation chrétienne dépend de ceux qui ont compris l’idée de Douglas»

Eric Butler

Voici des extraits du livre d’Eric Butler intitulé Releasing Reality (Libérer la réalité), ayant comme sous-titre «Le Crédit Social et le Royaume de Dieu», qui a été publié en 1979 pour commémorer le centenaire de la naissance de Clifford Hugh Douglas. Il montre comment le Crédit social apporte une nouvelle pertinence à tous les aspects des affaires de l’homme. M. Butler conclut en faisant observer que l’avenir du christianisme dépend maintenant de ceux qui ont compris l’«aperçu de la réalité» fourni par Douglas :

La pression en faveur d’un État totalitaire

Ce n’est que lorsque j’ai lu Douglas que j’ai complètement compris que la centralisation excessive du pouvoir en opposition à l’initiative individuelle était la cause principale de l’effondrement de la civilisation, et que la création et le contrôle de l’argent a été un instrument majeur en faveur de cette centralisation du pouvoir. Dans une de ses nombreuses observations profondes, Douglas a dit que l’histoire n’est pas seulement une série d’épisodes déconnectés concernant la naissance des rois, des guerres et autres événements, mais «la politique rendue plus claire». Et les politiques des gouvernements sont des manifestations de philosophies sous-jacentes. Alors que l’élaboration de politiques peut, de temps à autre, être influencée par ce que Douglas a décrit comme des «événements improvisés», ils sont pour l’essentiel le résultat d’un effort conscient par des individus organisés à poursuivre des politiques qui reflètent des philosophies.

Dans un discours prononcé à Liverpool, en Angleterre, en 1936, intitulé La tragédie de l’effort humain, Douglas déclarait: «Les principes généraux qui régissent l’association pour le bien commun sont tout aussi capables de formulations exactes que les principes de la construction de ponts, et s’éloigner de ces principes est tout aussi désastreux.

«La théorie moderne, si elle peut être appelée moderne, de l’État totalitaire, par exemple, à l’effet que l’État est tout et l’individu rien, est une dérogation à ces principes, et est une refonte de la théorie du dernier Empire romain, dont la théorie, ainsi que les méthodes de financement par lequel il a été maintenu, a conduit à la chute de Rome, non par la conquête par des empires plus puissants, mais par ses propres dissensions internes. C’est une théorie impliquant une inversion complète des faits, et qui, incidemment, est fondamentalement antichrétienne...»

Une dette astronomique, la fiscalité écrasante et l’inflation produisirent à Rome les mêmes résultats désastreux économiques, sociaux et politiques qui sont une caractéristique de ce qui est aujourd’hui clairement une autre civilisation en train de se désintégrer. Les leçons de l’histoire sont indispensables. Ceux qui refusent de tirer les leçons des catastrophes de l’histoire sont condamnés à répéter ces catastrophes. La contribution essentielle de Douglas pour une compréhension de l’histoire réelle était de montrer comment le système monétaire a, au fil des siècles, été un instrument majeur pour la centralisation du pouvoir.

Le défaut fondamental du système

Douglas a décrit comment, lorsqu’il a découvert pour la première fois le défaut fondamental du système financier et économique actuel, il pensait que tout ce qu’il avait à faire était de mettre au courant de ce défaut ceux qui contrôlent le système, qu’ils le remercieraient, puis procéderaient à corriger ce défaut. Mais il a vite découvert que, loin de vouloir corriger le défaut en question, ceux qui contrôlent la politique financière étaient déterminés à résister à toute suggestion de correction d’un défaut qui faisait en sorte que la centralisation progressive du pouvoir semblait inévitable.

Les marxistes et autres groupes assoiffés de pouvoir étaient tout aussi fortement opposés à toute politique corrective qui supprimerait les conditions dont ils ont besoin pour faire la révolution. Comme l’a dit Douglas, il s’est vite rendu compte qu’il se lançait dans un projet qui accaparerait toute sa vie, mais aussi de nombreuses générations à venir. En révélant le défaut à la base du système financier et économique actuel, Douglas a dû faire face à la question plus fondamentale de l’éternelle lutte pour le pouvoir. Si l’état actuel du monde n’est pas le résultat de politiques façonnées par des individus qui se sont organisés pour promouvoir ces politiques, mais plutôt le résultat de forces aveugles et du hasard, il est clair qu’il n’y a rien qu’un individu puisse faire pour empêcher de nouvelles catastrophes. C’est la théorie de l’idiot du village, et, naturellement, cette théorie tend à produire une attitude passive à l’égard des événements, elle bloque l’initiative individuelle.

Le christianisme ne s’est pas développé par hasard

Mais l’absurdité de cette théorie (que les événements de l’histoire de l’humanité arrivent simplement par hasard) peut être démontrée en demandant: «La civilisation chrétienne occidentale s’est-elle développée au cours des deux mille dernières années simplement par hasard?»

La civilisation chrétienne s’est développée parce que suffisamment d’individus se sont efforcés, sacrifiés — et beaucoup ont même donné leur vie — pour faire avancer une notion de comment les individus devaient vivre ensemble dans la société. Le recul de la civilisation chrétienne a eu lieu parce que des individus, ayant une vision antichrétienne de la façon dont les hommes doivent vivre, ont utilisé des instruments de pouvoir et d’influence pour s’efforcer de créer un monde dans lequel leur philosophie prévaut. Ils doivent être décrits comme étant des conspirateurs, même si beaucoup d’entre eux sont en compétition les uns avec les autres.

«Christianisme appliqué»

Clifford Hugh Douglas
Clifford Hugh Douglas (1879-1952)

Douglas a jeté une lumière éblouissante sur une grande partie de ce qui semblait obscur ou non pertinent au sujet du christianisme. Sa présentation de l’importance vitale de la doctrine de l’Incarnation fut une révélation pour moi, et je suis depuis longtemps arrivé à la conclusion que le Crédit Social est, comme Douglas a dit: «le christianisme appliqué», et que l’avenir même du christianisme authentique dépend maintenant du Crédit social et des révélations de Douglas.

Il est relativement facile de critiquer les prétendus effets désastreux du christianisme sur le drame humain (comme les athées et autres adversaires du christianisme aiment à le faire), mais G.K. Chesterton avait raison quand il disait que loin d’avoir échoué, le christianisme n’avait pas encore été appliqué. Au contraire, dans la mesure où le christianisme avait été appliqué, il en était résulté un énorme progrès pour l’humanité.

Sans l’influence chrétienne, le sommet de la civilisation occidentale, atteint avant la Première Guerre mondiale, n’aurait jamais été possible. Depuis lors, il y a eu un recul du christianisme (pas en population, mais dans le degré où le christianisme est appliqué et vécu dans la société). Ce recul peut cependant être renversé, si suffisamment d’individus se mettent à rechercher, avec l’humilité requise, ce qui n’a pas fonctionné. Douglas a montré la voie à suivre en préconisant des politiques qui peuvent incarner la Parole de Dieu dans la société.

Libérer la réalité

L’histoire fournit de nombreux exemples de grandes vérités détruites, non pas par une opposition directe, mais par la perversion. La perversion la plus dangereuse est celle de ceux qui pro-clament qu’ils soutiennent l’auteur de la vérité qu’ils pervertissent. Un grand nombre de personnes qui se disent chrétiens — disciples du Christ — appuient des politiques qui écrasent de plus en plus la liberté de l’individu. Le summum du blasphème est de prétendre qu’on peut être à la fois chrétien et marxiste, et appuyer la création d’un gouvernement mondial — un César international.

Beaucoup de ceux qui se disent créditistes et partisans de Douglas ont perverti ses idées en décrivant Douglas comme étant un «réformateur monétaire» et un «grand idéaliste». C’était le célèbre écrivain Oscar Levy qui observait que l’idéal est l’ennemi du réel. L’idéalisme est une manifestation de l’orgueil de l’homme et affirme que l’homme peut être son propre Dieu.

L’approche de Douglas en est une de respect et d’humilité, telle qu’elle est exprimée dans son commentaire que «les règles de l’univers transcendent la pensée humaine», et que si l’homme désire le plus haut degré de satisfaction dans les affaires humaines, il doit soigneusement tenter de découvrir quelles sont ces vérités, et ensuite leur obéir. Douglas était avant tout un homme soucieux de découvrir la vérité, la réalité.

Dans un autre commentaire, Douglas a dit que le Crédit Social fournit «un aperçu de la réalité». Une meilleure compréhension de la réalité exige une recherche constante de la vérité. Dans l’une de ces déclarations profondes qui peuvent être méditées indéfiniment avec un profit toujours renouvelé, Douglas a déclaré que les créditistes cherchaient à «libérer la réalité». Dans un autre commentaire, Douglas a dit que le Crédit Social fournit «un aperçu de la réalité». Une meilleure compréhension de la réalité exige une recherche constante de la vérité. Dans l’une de ces déclarations profondes qui peuvent être méditées indéfiniment avec un intérêt toujours renouvelé, Douglas a déclaré que les créditistes cherchaient à «libérer la réalité».

Le Crédit Social ne dit pas: «C’est ainsi que les choses devraient fonctionner, et nous devons réformer les systèmes financiers et autres de telle sorte que cela arrive», mais plutôt que les choses fonctionnent mieux en accord avec leur propre nature. Dans la préface de son livre Credit Power and Democracy (1920), Douglas écrivait: «Ce qui est moral est ce qui fonctionne le mieux.» Plus tard, il a fait remarquer qu’on a perdu le sens du mot “moral”. Une grande partie de ce qu’on appelle le progrès est amoral. L’utilisation des meilleurs outils ne garantit pas automatiquement de meilleurs objectifs. Nous pouvons améliorer les avions afin de pouvoir voler d’un endroit à un autre en moins de temps. Est-ce un progrès? La vraie question ne serait-elle pas plutôt: «Que faisons-nous avec le temps que nous avons ainsi sauvé? Construire plus d’avions?»

Comment Douglas découvrit le Crédit Social

Dans un discours aux membres du Canadian Club à Ottawa en Avril 1923, alors qu’il avait été invité au Canada pour présenter ses idées devant le Comité parlementaire canadien des banques et du commerce, Douglas a résumé l’histoire de ses découvertes comment il en était arrivé aux conclusions qu’il avait tirées.

Le début de cette «histoire plutôt longue remonte à une quinzaine d’années», dit-il. Douglas expliqua comment, pendant qu’il se trouvait en Inde, travaillant en Orient pour les intérêts de la compagnie Westinghouse, il avait mené une étude sur le potentiel hydro-électrique d’une grande région, à la demande du gouvernement indien. Douglas dit que lorsqu’il retourna en Inde à Calcutta et Simla et demanda ce qui allait se faire pour développer cette énergie hydraulique, la réaction a été: «Eh bien, nous n’avons pas d’argent.» C’était à une époque où les manufacturiers de Grande-Bretagne avaient de la difficulté à obtenir des commandes, et les prix des machines étaient très bas. Douglas dit qu’il accepta alors cette réponse, et l’emmagasina dans son esprit.

Il rappela ensuite comment, quand il dînait fréquemment avec le contrôleur-général de l’Inde, celui-ci l’ennuyait considérablement avec de longues conférences sur le crédit. Le contrôleur général raconta ses expériences avec les fonctionnaires du Trésor (ministère des Finances) en Inde et en Grande-Bretagne, insistant sur le fait que l’argent et l’or n’avait rien à voir avec la situation. «Cela dépend presque entièrement du crédit», a-t-il dit. Douglas fit remarquer que, à l’époque, les commentaires de son ami n’avaient guère de sens pour lui, mais, néanmoins, il senti qu’ils avaient également emmagasinés dans son esprit.

Douglas expliqua ensuite comment, juste avant la Première Guerre mondiale, il avait été engagé par le gouvernement britannique dans le cadre de la construction du chemin de fer des Postes à Londres. Il n’y avait pas de problème physique pour réaliser le projet mais, périodiquement, il devait congédier des ouvriers, car il n’y avait pas suffisamment d’argent. «Puis vint la guerre», déclara Douglas, «et je commençai à remarquer qu’on pouvait obtenir de l’argent pour n’importe quel projet.» Cela le frappa et lui parut assez curieux.

Pendant la Première Guerre mondiale, Douglas, qui avait servi en France, fut envoyé à l’avionnerie royale de Farnborough en Angleterre pour régler «une certaine quantité de désordre» dans la comptabilité. Après quelques semaines, il avait découvert que, après avoir fait appel à des machines à calculer pour l’aider dans son examen du système de calcul des coûts de l’usine, les coûts (ou dépenses) de l’avionnerie étaient générés à un rythme beaucoup plus rapide que les salaires et autres revenus distribués aux employés.

Comme un vrai scientifique, Douglas fit ensuite une enquête sur un échantillon de centaines d’organisations industrielles en Grande-Bretagne, et constata que toutes engendraient des coûts totaux, reflétés dans les prix, à un rythme plus rapide qu’ils distribuaient du pouvoir d’achat aux individus par les salaires et traitements. Douglas fournit plus tard la preuve mathématique de sa découverte, sous la forme du fameux théorème A + B.

Douglas ajouta que plus tard, il remarqua qu’avec le retrait de quelque sept millions des meilleurs producteurs dans le pays (en raison de la guerre), ceux qui restaient, les personnes âgées, les femmes et les enfants, ont été capables de construire de merveilleuses cités de béton. D’immenses quantités de produits ont été détruites par la guerre. Pourtant, tout le monde vivait avec un niveau de vie au moins tout aussi élevé que celui d’avant-guerre.

Douglas pensait à ces choses lorsque son esprit le ramena à ce que son ami anglo-indien lui avait dit quelques années plus tôt au sujet du crédit. Il se dit: «Cet homme avait raison. La clé du problème, c’est le crédit. Les gens en général n’ont pas de pouvoir d’achat suffisant». «Je sais, par mes propres connaissances techniques», dit Douglas, «qu’il n’y a pas du tout de problème de production dans le monde, qu’il n’y a aucune chose que vous ne puissiez obtenir si vous mettez l’argent nécessaire sur la table.»

L’homme doit suivre la Loi de Dieu

Une des images les plus révélatrices que nous avons de Douglas, en tant qu’homme, et de sa philosophie nous vient de M. L.D. Byrne: «En dépit d’une stature intellectuelle bien au-dessus de la moyenne, la caractéristique exceptionnelle de Douglas était sa profonde humilité — une humilité qui se reflétait dans ses écrits et dans sa vie... Là où d’autres voyaient le monde en termes de luttes et de réalisations de l’humanité, et la société comme étant la créature du cerveau et du comportement humain, Douglas lui, avec le réalisme de l’ingénieur et la spiritualité pénétrante d’un théologien médiéval, Douglas voyait l’univers comme étant une unité intégrée et centrée sur son Créateur et soumise à sa Loi.

«C’est la base de la philosophie de Douglas — dont le Crédit Social est la ligne d’action — qu’il existe dans l’univers et au cours des siècles une Loi de Justice - la Loi divine - ce qu’il appelle le Canon. L’homme doit rechercher cette loi activement, et dans la mesure où il la trouve et s’y conforme, il atteindra l’harmonie avec l’univers et son Créateur. A l’inverse, dans la mesure où l’homme ignore le fonctionnement de ce «canon» et s’en moque, il ne récoltera que désastres.

Politiques et philosophies

Douglas faisait remarquer qu’un problème énoncé correctement est déjà résolu à moitié. Le point de départ pour résoudre les problèmes des êtres humains doit donc être de poser la question suivante: «Quel est le but de l’homme lui-même, et de ses activités?» Le problème fondamental est donc philosophique.
Douglas a accepté implicitement la philosophie chrétienne quand il écrivait: «Le groupe existe pour le bénéfice de l’individu, dans le même sens que le champ existe pour le bénéfice de la fleur, ou l’arbre pour le fruit... La célèbre réplique du Christ aux Pharisiens, que «le sabbat a été fait pour l’homme, et non l’homme pour le sabbat» (Marc 2, 27), a clairement révélé l’importance que le Christ donne à la valeur suprême de l’individu. Le message du Christ a ouvert la voie pour libérer l’individu de la domination du groupe ou du système.

Examinant cette question de plus près dans sa série d’articles sur La position réaliste de l’Église d’Angleterre, Douglas a souligné qu’une société véritablement chrétienne est celle dans laquelle le pouvoir est effectivement entre les mains de chacun des membres de cette société, qui sont alors en mesure de faire des choix libres, en acceptant évidemment la responsabilité personnelle des choix ainsi faits. Le but de l’antéchrist, avertit Douglas, était de forcer l’homme à faire partie de groupes de plus en plus fortement centralisés, dans lequel l’attribut le plus divin de l’homme, son initiative créatrice, est détruite.

L’une des déclarations les plus éclairantes faites par Douglas, qui révèle son humilité dans la recherche de la vérité, c’est que les règles de l’univers transcendent la pensée humaine, et que si la personne humaine veut vivre dans un monde d’harmonie, elle devrait faire tout en œuvre pour découvrir ces règles et les respecter. Douglas n’a pas dit comment les choses doivent fonctionner, mais tout simplement: «Nous essayons de faire connaître la réalité, afin que les choses puissent fonctionner conformément à leur propre nature.» Douglas a averti que l’adoption de lois sans fin, dans une tentative de faire fonctionner les systèmes dans un sens contraire à la réalité, ne pouvait qu’empirer les défauts de ces systèmes.

Pas un monopole d’État

Il était donc naturel, pour ceux qui croit que le Crédit Social n’est rien d’autre qu’une simple émission supplémentaire d’argent pour vaincre la crise économique, de croire qu’il suffisait que les gouvernements nationalisent les banques, et ainsi mettre fin au «monopole privé du crédit».

Douglas ne se préoccupait pas surtout à savoir si le monopole de la création du crédit était privé, mais il se préoccupait du monopole lui-même. Nationaliser les banques ne changeait absolument rien à ce monopole, puisqu’il ne faisait que changer le nom sur les portes sans changer les politiques. De plus, un monopole d’État peut être bien pire qu’un monopole privé, se cachant derrière la façade que le gouvernement (qui opère ce monopole d’État) a été «démocratiquement élu».

Le crédit d’une société appartient à chacun des membres de cette société, et les gouvernements devraient s’adresser aux individus pour obtenir des crédits de la même façon qu’une entreprise dépend de ses actionnaires pour son capital. Un monopole d’État sur la création de crédit est justement l’une des dix étapes proposées par Karl Marx pour communiser un État. Cette politique est l’expression d’une philosophie diamétralement opposée à la philosophie du Crédit Social.

Des dividendes aux individus

Douglas a dit que le véritable rôle de l’État consiste à distribuer des dividendes aux individus. L’individu doit être libre de décider comment il fera usage de son propre crédit.

Durant la crise économique des années trente, où le marxisme attirait un grand nombre de personnes désespérées, un collègue de Staline, Molotov, faisait savoir à l’archevêque anglican de Canterbury, le Dr. Hewlett Johnson, que les dirigeants soviétiques connaissaient le Crédit Social, et que c’était le seul mouvement qu’ils craignaient. Racontant une expérience révélatrice qu’il avait eue avec le célèbre chef fabien et marxiste Sidney Webb, Douglas a dit que, après qu’il avait effectivement réfuté tous les arguments contre la praticabilité de ses propositions du Crédit Social, il a été confronté à la véritable objection à ces propositions: Webb lui a répondu qu’il n’aimait pas le but des propositions créditistes, qui était de libérer l’individu de la domination de ceux qui exercent le pouvoir sur lui.

Ce que Douglas a fait fut d’apporter une nouvelle stratégie et tactique à un problème vieux comme le monde: la lutte de l’individu pour se défendre contre toutes les manifestations de la soif du pouvoir, du désir d’imposer sa volonté aux autres. Avec la précision d’un ingénieur de formation, il a analysé les défauts fondamentaux dans le système financier et économique.

Certains de ses commentaires les plus brillants concernent le but véritable de l’homme et menace contre ce but par les partisans du pouvoir centralisé, qui se servent des institutions financières, économiques et politiques pour asservir la personne humaine. Une des plus brillantes découvertes de Douglas, c’est que le vrai but de la production est la consommation, et que la politique du «plein emploi» allait à l’encontre du progrès des arts industriels, qui ont fait en sorte que les besoins réels de l’individu soient comblés avec de moins en moins de labeur humain.

Rien n’a amené d’opposition plus féroce à Douglas que son observation selon laquelle ce n’était pas le labeur humain qui créait toute la richesse du travail, le principal facteur de production moderne étant plutôt l’utilisation de l’énergie solaire sous différentes formes pour faire fonctionner des machines automatiques et semi-automatiques, et que puisque l’individu était l’héritier d’un patrimoine culturel, il avait moralement droit à une sorte de dividende. Une telle politique est contraire à l’opinion soigneusement entretenue selon laquelle on ne peut pas accorder à l’individu ce genre de liberté, que Douglas avait démontré à la fois possible et souhaitable. Cette opposition au principe d’un dividende basé sur un héritage était la manifestation de la philosophie de la soif de pouvoir, d’imposer sa volonté aux autres.

Le règne de Dieu ne peut venir sur la terre que si les individus cherchent à connaître Dieu, servir Dieu, pour faire avancer son projet pour l’homme. Le Christ nous a dit: «Soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait.» (Matthieu 5, 48) Viser la perfection n’est possible que lorsque l’individu possède la liberté de le faire. Le but de la perfection signifie que le Christ est venu restaurer, rendre l’expiation avec Dieu possible. Ce n’est qu’avec le Christ que l’individu peut venir à connaître le Père, d’entrer en contact avec le Père.

Ainsi, loin d’ignorer le monde matériel, le Christ a dit qu’il l’avait vaincu. L’homme ne vit pas seulement de pain, mais avoir suffisamment de pain est essentiel. «Donnez-nous aujourd’hui notre pain de ce jour.» Dieu le Père a mis sur terre une abondance de biens matériels nécessaires à la «vie en abondance» dont le Christ a parlé.

Le «plein emploi» nie l’accès au Royaume

La politique prépondérante utilisée pour refuser à l’être humain l’accès à la sécurité réelle et de plus en plus de liberté, ce qui lui est dû dès sa naissance, est celle du «plein emploi». Bien que cette politique soit en flagrante contradiction avec toutes les avancées en matière de technologie, elle est promue de façon persistante comme l’objectif le plus important vers lequel l’homme doit tendre.

La philosophie sous-jacente à cette politique est matérialiste, puisqu’elle traite l’être humain comme matière première pouvant être introduite dans un système de production de masse de plus en plus croissant, et aussi antichrétienne, parce qu’elle nie que le principal facteur dans la production moderne soit l’héritage.
Quand Douglas a d’abord mis de l’avant la politique d’un dividende national pour l’individu comme étant un droit qui reflète la réalité de l’héritage, cela a été dénoncé de façon cinglante comme étant «donner quelque chose en échange de rien».

La vie elle-même est un cadeau, tout comme les facteurs les plus importants qui soutiennent la vie: l’eau, l’air et l’énergie solaire illimitée. Le refus d’accepter les dons de Dieu avec le respect qui leur est dû est une manifestation de l’orgueil de l’homme, le refus d’accepter la vérité que l’homme n’est pas auto-suffisant, qu’il dépend de Dieu et de Son univers qui abonde en matériaux, et qu’il dépend des lois qui, si elles sont découvertes et appliquées, fournissent à la fois la sécurité et la liberté.

La tendance à adorer la science comme une sorte de Dieu n’est qu’une autre preuve de l’orgueil de l’homme. La science ne peut rien créer, elle n’est qu’une méthode pour découvrir et utiliser ce qui existe déjà...

Chaque nouvelle génération hérite du savoir accumulé par les générations précédentes. On hérite même des idées. Comme l’a souligné le grand savant Isaac Newton: «Si j’ai vu plus loin que les autres hommes, c’est parce que je me suis tenu sur les épaules de géants»...

Les plus grandes contributions à la civilisation viennent de ceux qui ont bénéficié d’une sécurité et liberté relatives. Mais, au mépris des faits, de nombreux chrétiens soutiennent la politique du «plein emploi», en s’appuyant sur les paroles de saint Paul: «Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus» (2 Thessaloniciens 3, 10). Cette déclaration était généralement vraie quand saint Paul l’a faite. Il fut un temps où l’énergie humaine était le seul moyen de production. Mais saint Paul n’avait jamais entrevu ni même envisagé qu’un jour on aurait des systèmes de production automatisée contrôlés par ordinateur.

(NDLR: en commentant ce passage de saint Paul, le pape Pie XI a écrit dans son encyclique Quadragesimo Anno: «En aucune manière, l’Apôtre ne présente ici le travail comme l’unique titre à recevoir notre subsistance. Il importe donc d’attribuer à chacun ce qui lui revient et de ramener aux exigences du bien commun ou aux normes de la justice sociale la distribution des ressources de ce monde, dont le flagrant contraste entre une poignée de riches et une multitude d’indigents atteste de nos jours, aux yeux de l’homme de coeur, les graves dérèglements.»)

Une personne ayant une autorité beaucoup plus grande que saint Paul, le Christ, a dit quelque chose de beaucoup plus fondamental, et qui a une valeur permanente:

«Regardez les oiseaux du ciel: ils ne sèment ni ne moissonnent, ni n’amassent dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit. Ne valez-vous pas plus qu’eux?... Et pourquoi vous inquiéter du vêtement? Observez les lis des champs, comment ils poussent: ils ne travaillent ni ne filent... Si Dieu habille ainsi l’herbe des champs, qui existe aujourd’hui et qui demain sera jetée au four, ne fera-t-il bien plus pour vous, gens de peu de foi?» (Matthieu 6, 26-30).

Le Christ a dit qu’il est venu pour que l’homme ait la vie en abondance. Il n’a pas dit, comme un ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre, Sir Montagu Norman, que la pauvreté était bonne pour les gens.

Le grand philosophe chrétien, saint Thomas d’Aquin, a déclaré que le «danger spirituel découle de la pauvreté lorsque celle-ci n’est pas volontaire... aucun homme doit vivre dans la destitution.»

Être libéré davantage de la nécessité de prendre part à l’activité économique ne signifie pas nécessairement que les gens deviendront de plus en plus paresseux. La liberté ainsi obtenue permettrait à l’individu de choisir le type d’activité qui l’attire. Il y aurait une floraison d’activités créatrices avec des individus s’occupant à des choses qu’ils aiment faire. On peut dire avec certitude que l’intensification de la politique de «plein emploi» ne peut qu’accélérer la désintégration croissante de ce qui reste de la civilisation chrétienne. La régénération de la civilisation dépend du rejet de cette politique, et de l’acceptation que tous sont héritiers du progrès et ont droit à un dividende.

Toute action en faveur du Crédit Social doit rejeter la vieille méthode des partis politiques qui divisent, mais plutôt chercher à unir, à guérir, en conformité avec la loi chrétienne de l’amour...
La régénération de la civilisation doit commencer par la régénération de l’individu. Le développement du Royaume de Dieu peut commencer dès maintenant avec des personnes qui cherchent à faire usage de leur initiative, en association avec d’autres qui sont aussi des «chrétiens en pratique», pour résister autant que possible aux politiques du mal. Refuser d’agir, c’est refuser de travailler à entrer dans le Royaume.

Douglas a dit que «le christianisme, la démocratie, et le Crédit social ont au moins trois choses en commun: on prétend qu’ils auraient échoué, aucun d’entre eux n’a la nature d’un plan, et tous les efforts de certaines organisations les plus puissantes au monde sont faits pour que non seulement le christianisme, la démocratie et le Crédit Social ne soient jamais acceptées, mais que le moins de personnes possible comprennent leur nature.»

Douglas a consacré une attention considérable à souligner que le christianisme, la démocratie et le Crédit social authentiques ont tous le même souci de s’assurer que les individus aient le contrôle effectif de leur propre vie et acceptent la responsabilité personnelle pour la façon dont ils se servent de ce pouvoir. Le soi-disant échec du christianisme, c’est celui des gens qui n’ont pas réussi à saisir le message de vraie liberté que le Christ a apporté, ni à suivre les conseils du Christ.

Le génie de Douglas lui a permis de présenter la vraie nature de la démocratie et du christianisme. Douglas a fourni la clé de la porte qui doit être ouverte pour permettre à l’individu d’entrer dans le Royaume ... Mais cette clé doit être activée par des personnes ayant les connaissances et la volonté de le faire. L’avenir du christianisme dépend maintenant de ceux qui ont saisi les Vérités — un aperçu de la réalité découverte et présentée par Douglas.

Eric Butler
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